Mme le Juge des référés a donc demandé aux 6 FAI de bloquer le site complet par filtrage IP ou DSN (sic).
Cette décision est tout sauf une surprise pour moi :
- Le blocage par URL n'était pas possible, d'abord parce que le site n'est accessible qu'en HTTPS (argument peu développé à l'audience et pas repris dans le jugement) et, nonobstant cette particularité, parce que le filtrage par URL demanderait l'installation de systèmes DPI que les FAI affirment ne pas posséder ;
- Le délit est constitué (Injures, Collectes de données personnelles) au vu de la loi (1881 pour l'injure, loi du 6 Janvier 1978 pour les données) ;
- La LCEN prévoit depuis 2004 que les fournisseurs peuvent être requis dans le cas ou l'hébergeur ne peut pas l'être.
Le juge n'avait donc pas beaucoup de raisons de refuser la demande à mon sens, et donc d'imposer la mesure la plus limitée techniquement possible : bloquer l'accès complet. La mesure est temporaire, en attendant l'issue des plaintes déposées par le Ministère de l'Intérieur. Ce qui est très intéressant, c'est que le jugement reconnait que les FAI seront indemnisés pour le blocage (c'est le moment de faire développer le DPI dans les *BOX avec les sous de l'État !). Il n'y a pas d'astreinte, considérant que les FAI ne sont pour rien dans le délit initial et qu'ils sont de bonne volonté.
Bien sûr tout le monde sait que le site va changer de domaine, d'adresse IP, qu'on peut utiliser des serveurs DNS qui ne sont pas ceux du FAI, que des dizaines de mirroirs existent, qu'on peut utiliser Tor ou un proxy au Belouchistan, ... et donc que cette mesure n'empêchera pas complètement l'accès au site. Je pense simplement que le Ministère ne pouvait pas donner l'impression de laisser tomber les policiers, surtout vu les échéances à venir, et que cette préoccupation est sans doute la principale motivation de cette action.
Plusieurs questions et réflexions :
- Pourquoi attaquer ces 6 FAI et pas d'autres, même s'ils sont plus petits (Nerim, FDN, ...) ?
- Ce blocage n'affectera évidemment que les FAI résidentiels, les accès en entreprise ne sont, pour la plupart, pas concernés (il aurait fallu imposer un blocage IP au niveau de tous les opérateurs de transit IP en France) et je suis notamment sûr qu'il restera accessible depuis beaucoup d'administrations bien après que les FAI aient appliqué la demande ^^ ;
- Je n'ai toujours pas compris pourquoi Gandi, bureau d'enregistrement du domaine, n'a pas été assigné, alors qu'il était le plus à même de faire cesser l'infraction de manière plus définitive ;
- Est-ce que ce jugement peut en amener d'autres avec des requérants moins régaliens ? Pour ma part, je pense que l'effet "Streisand" déjà en cours et les contournements possibles sont de puissants freins, et je ne le pense donc pas ;
- On m'a demandé si les miroirs étaient visés : la Justice a pris déjà une décision en une semaine, elle ne peut pas juger quelque chose qui est apparu hier ... Mais j'espère pour eux que les gens qui font des miroirs ont l'intelligence d'être très bien cachés et sont courageux, parce que le Ministère n'a pas l'air de plaisanter...
Une dernière réflexion personnelle : quand les gens d'un bord politique précis, élus sans discontinuité depuis 2002, disent qu'ils veulent "réguler" et "civiliser" l'Internet, et bien au final, contre toute attente, ils le font ! Ils ont certainement tort, mais ils ont une certaine légitimité pour faire la loi, et la Justice l'applique. Dans une République, le peuple fait changer la loi en élisant des députés et un exécutif, d'abord en votant, et, pour les plus courageux, en militant dans de vrais partis politiques, et pas seulement des groupes de pression ne luttant que pour "la neutralité du Net" ou "Hadopi caca ..". Quand nous aurons de nouveau compris cela, collectivement, alors beaucoup de choses iront mieux.